Appréhender l’être dans son intégralité, et donc en laissant sa place au corps et à son expression, a de tous les temps été une évidence dans l’immense majorité des pratiques de soins traditionnelles.
Il y a déjà plusieurs milliers d’années en Inde, le hatha yoga a été développé comme une science extrêmement poussée de la relation entre tensions musculaires, respiration et état mental.
Bien que le but du yoga soit différent – la libération de l’âme de la prison du corps en mobilisant toutes les potentialités de l’être humain et la fusion avec un état d’être englobant l’univers entier – les thérapeutes corporels ont en fait bien souvent redécouvert des connaissances et des pratiques déjà bien ancrées dans la tradition yogique. Et de nombreux patients, sans forcément avoir de but spirituel dans leur recherche de mieux-être, trouveront très parlante l’image de la « prison du corps ».
La notion de posture est également un fondamental commun au yoga et à de nombreuses pratiques de thérapie corporelle, la façon dont la personne trouve dans son équilibre un compromis entre l’adaptation à la gravité et les tensions corporelles chroniques qui l’habitent.
Le travail sur la respiration afin de retrouver son amplitude optimale est un autre point commun sur lequel le thérapeute sera particulièrement attentif. Les yogis ont développé une science très élaborée de la respiration et de nombreux exercices respiratoires aux effets intenses visant au contrôle et à l’augmentation de l’énergie dans le corps. Le thérapeute n’a pas cette intention. Son travail sera essentiellement orienté vers une meilleure circulation de l’énergie par la libération des zones bloquées dans le processus de respiration.
La médecine traditionnelle chinoise apporte un regard différent sur la nature de la relation corps-psyché. Toutefois, c’est surtout dans sa vision globale de l’individu et plus encore dans sa perception du patient que le thérapeute sera inspiré par le médecin traditionnel chinois. En effet, outre les techniques de diagnostic très poussées de la MTC (abréviation de médecine traditionnelle chinoise), le médecin sera très attentif à ce qu’il va ressentir du patient, à l’écho que fera dans son propre corps l’état physique et émotionnel du patient.
Et depuis ces pratiques ancestrales jusqu’à nos jours, que s’est-il passé ? Eh bien il faut dire qu’avec le poids des religions chrétiennes qui se sont évertuées à couper le lien entre le corps et la psyché, à considérer le corps comme une entrave au développement de l’âme, les recherches sur le travail corporel n’ont pas vraiment été encouragées. Il faudra attendre la fin du XIXème et siècle et surtout le XXème siècle pour qu’un nouvel intérêt se manifeste dans le traitement corporel des troubles mentaux. Paradoxalement, c’est l’avènement de la psychanalyse qui va donner une réelle impulsion aux recherches sur les thérapies corporelles.
Il est faux cependant de dire qu’il ne s’est rien passé pendant 20 siècles. De nombreux philosophes ont réfléchi à la nature de l’âme et du corps, à leurs relations ou non, tandis que des médecins ont étudié plus en détail le corps lui-même. Mais la jonction entre ces deux approches a été longue à se faire.
Je disais donc que c’est l’avènement de la psychanalyse qui amènera une évolution fulgurante des thérapies corporelles. En effet, parmi le cercle des disciples directs de Freud, on trouvera Wilhelm Reich, Groddeck, qui très tôt saisiront l’importance du corps dans l’établissement de la névrose et son traitement. Conjointement l’école scandinave produira des travaux fondateurs dans le traitement corporel des troubles psychiques, comme Aadel Bulow-Hansen qui mettra au point une technique innovante de massage développé plus tard par sa plus célèbre étudiante, Gerda Boyesen, sous la forme du Draînage Profond (plus connu sous son appellation anglaise : Deep Draining).
Aux Etats-Unis, ce sont surtout Alexander Lowen et John Pierrakos, qui ont étudié auprès de Reich, qui développeront leur propre système.
Je m’attarderai quelque peu sur Wilhelm Reich. En effet, ses idées révolutionnaires ont été les fondements de la plupart des concepts fondateurs des thérapies corporelles. Dans le noyau de toute névrose il découvre une répression de la libido (énergie vitale, sexuelle notamment, mais qu’il faut comprendre comme une force de vie de façon plus générale pour en saisir toutes les implications) qui commence dès l’enfance. Selon le moment et l’intensité de la répression des besoins pulsionnels par l’entourage de l’enfant, se constituent les différentes structures caractérielles qu’il appellera : les « cuirasses caractérielles ». La restauration d’une circulation libre de la libido est la condition nécessaire pour faire disparaître les symptômes névrotiques ou les maladies psychosomatiques. Il établit le rapport entre les cuirasses caractérielles et corporelles, et les troubles psychiques. Il développe la « végétothérapie », thérapie corporelle qui est à la base de nombreuses thérapies corporelles actuelles (comme le cri primal ou la bio-énergie, mais également très utilisée en psychologie biodynamique).
Les courants actuels de thérapies corporelles sont excessivement nombreux, nous n’en dresserons pas une liste exhaustive. Chaque thérapeute développe sa propre approche, et nous devons beaucoup à Gerda Boyesen d’avoir su établir des ponts entre toutes ces approches et d’en tirer un état d’esprit commun profondément respectueux de la personne sous la forme de ce qu’elle a appelé la psychologie biodynamique.