Dans la première partie de ce long article, je t’ai exposé ami lecteur les principes de défense fondamentaux des êtres vivants. Voyons à présent de façon plus directe comment cela fonctionne pour nous autres êtres humains.
L’être humain, lorsqu’il est confronté à une agression ou un conflit, ne va pas en premier lieu réfléchir à la meilleure solution. Sa première réaction sera corporelle, et même un nouveau-né va adapter son comportement de la façon la plus biologiquement tenable.
Prenons l’exemple d’un nourrisson qui refuse de s’alimenter en couveuse. Pour un nouveau-né, être séparé de sa mère représente un danger extrême. D’un point de vue biologique, il est plus facile de mourir que d’exister sans sa mère, car il n’a pas conscience d’être un être séparé. Pour le nouveau-né, sa mère et lui sont un. En retrouvant sa mère, ou en laissant près du bébé un vêtement portant l’odeur de sa mère, il acceptera de se nourrir (pendant ce temps-là dans certains établissements on nourrit de force le nouveau-né par perfusion, j’en ai des frissons…).
Pour un enfant battu, il sera plus facile de penser que c’est de sa faute, plutôt que de se rebeller contre plus fort que soi. Il pourrait se dire : mes parents sont injustes, je ne mérite pas ça ; mais quand on pense cela on est déjà adulte, l’enfant ne connaît pas le concept d’injustice. Cette autoculpabilisation engendre de la rage intériorisée, qui va s’emmagasiner sous forme de tensions musculaires. Lorsque le concept d’injustice devient accessible à la conscience, le sentiment d’injustice devient intolérable parce qu’il porte la rage enfouie dans le corps.
Pour l’enfant, le cerveau n’est même pas encore suffisamment développé pour traiter toutes les perceptions qui lui arrivent. C’est le corps qui va en grande partie traiter directement ces stimuli. C’est notamment pour cela d’ailleurs que surviennent les « caprices ». Entre 2 et 5 ans en particulier, le cerveau se développe plus vite que la capacité du corps à réguler l’émotion, et il y a une énorme différence entre ce que l’enfant est capable d’imaginer et ce qu’il est capable de (ou autorisé à) vivre réellement. Le sentiment de frustration est intense, impossible à gérer pour le cerveau. L’émotion déborde et le seul moyen de l’évacuer, c’est la crise qu’on appelle caprice. C’est le mécanisme le plus direct et le plus simple que le corps possède pour réguler ce débordement d’émotion : cris, larmes, gesticulations, jusqu’à l’épuisement parfois, en tout cas jusqu’à ce que le niveau de pression interne redevienne tolérable.
Voilà pourquoi – même si c’est très difficile – il est parfaitement contre-indiqué d’obliger l’enfant qui fait un caprice à « se contrôler », « se calmer », « se raisonner » ; il ne sait pas faire. Le laisser seul dans sa chambre « le temps qu’il se calme » est extrêmement violent aussi, car l’enfant est incapable de contrôler ce qui ce passe dans son corps à ce moment. La meilleure solution consiste à laisser passer la crise en restant stable, rassurant, ferme mais accompagnant, contenant, et être patient, jusqu’à ce que cela passe. Oui ami lecteur, je suis d’accord, pour certains parents c’est extrêmement difficile de rester zen quand son enfant « fait un caprice », surtout quand le parent lui-même n’a pas été accompagné dans son enfance à traverser cette difficile période. La frustration et la rage enfouie en nous ont alors tendance à être bien réactivées par le spectacle de notre petit bout qui hurle…
Voilà donc comment cela fonctionne pour l’être humain : quand il y a « quelque chose qui ne va pas », et qu’une émotion apparaît, le corps va tenter de réguler, de rééquilibrer la pression interne, avec la solution la moins coûteuse en énergie. Cette solution ne correspondra pas nécessairement à la meilleure option que nous pourrions envisager avec du recul et de la réflexion, elle sera instinctive, immédiate, et correspondra à la logique propre de l’organisme qui fonctionne dans l’immédiateté. La solution mise en place va opérer très rapidement et inconsciemment, et un nouvel équilibre énergétique va se mettre en place. Le psycho-péristaltisme a notamment cette fonction de « digestion émotionnelle » (voir Le psycho-péristaltisme, un bien précieux). Lorsque ce mécanisme est saturé ou inopérant, cet excès d’énergie va se stocker dans le corps sous forme de tensions musculaires ou autres mécanismes (voir C’est quoi une névrose, corporellement parlant ?).
Selon la nature du stress, l’émotion engendrée, et le stade de développement de l’enfant, la « cuirasse émotionnelle » consécutive à cette accumulation de tension prendra des formes différentes. Nous développons alors une façon de réagir privilégiée, un comportement particulier, ce qu’on appelle un « caractère » dans l’acception Reichienne du terme.
Au fil des années, les conflits ou tensions non résolus et engrammés dans le corps vont de façon inconsciente chercher leur résolution. Mais la quête d’une solution est souvent laborieuse. La personne sera amenée à retrouver, à rejouer de façon explicite ou symbolique le traumatisme originel jusqu’à ce que l’expérience apporte une fin acceptable. Voilà pourquoi on remarque souvent que l’on revit régulièrement la même problématique, ou que l’on rencontre régulièrement le même type de personne avec qui on vit les mêmes situations. Nous y sommes poussés par la solution organique trouvée par le corps qui a stocké le traumatisme pour le rendre supportable, mais n’a rien résolu.
Dans le cas d’un traumatisme psychologique, la personne retombe dans le souvenir du traumatisme de façon complète, son corps revit profondément la situation traumatisante dès qu’un signal quelconque pouvant ramener le souvenir à la conscience se manifeste. C’est ce qu’on appelle le syndrome de stress post-traumatique. Ce qui provoque ce passage en boucle de la scène traumatisante, c’est que le corps veut à toute force trouver une solution satisfaisante à la situation de stress extrême ressenti dans une situation de totale impuissance. Tant qu’il n’aura pas trouvé un « happy end » à cette situation, il va continuer à chercher.
La thérapie psycho-corporelle va intervenir sur les deux tableaux pour aider la personne à trouver sa solution. Par le travail corporel, notamment le massage mais aussi la végétothérapie, les tensions corporelles seront soulagées, voire évacuées, et il arrive souvent que la personne sente que « quelque chose est parti » sans que jamais l’information de la nature de ce quelque chose soit parvenue à la conscience. Reste la sensation très agréable d’une légèreté et d’une liberté nouvelle. Mais l’utilisation d’autres outils thérapeutiques va aussi faciliter la découverte d’une possibilité de réparation du traumatisme, en la jouant ou en la découvrant au fond de soi.
Voilà ami lecteur, j’espère que ce long discours très théorique ne t’aura pas lassé de lire mes articles, je te promets que la prochaine fois je serai plus léger !
Merci Christophe,
C’est toujours un plaisir de te lire.